Février 2023

Le soleil perçait à travers les nuages, illuminant de ses rayons hivernaux la devanture de la libraire The Witch’s Lair. Mélange savamment organisé de fictions, de biographies et d’ouvrages de référence, et toujours une partie dédiée à l’occulte. Jo observa son œuvre et hocha la tête, satisfaite. Elle lança un sourire à son collègue, derrière la vitre, un pouce levé, et il surenchérit avec deux pouces levés. Un rire léger s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle rentrait dans la boutique.

Quelques plaisanteries échangées et chacun·e partit vers son poste de travail. Il y avait les commandes des client·es à traiter, les nouveaux ouvrages à rentrer dans leur logiciel de référence et à classer. Jo n’aurait pas le temps de s’ennuyer, et l’absence de client·es en cette matinée fraîche était bienvenue. Il n’y avait rien de pire que d’être interrompue toutes les cinq minutes pour faire des erreurs et doubler le temps habituel pour effectuer ces tâches.

D’abord, les commandes des client·es. Vérifier l’exactitude des références, les mettre de côté, lancer l’envoi du message automatique de réception.

Après une vingtaine de minutes, Jo sourit en voyant un nom devenu familier au cours des derniers mois : Sarah Hawthorne. Une fois la commande de Sarah préparée, Jo jeta un coup d’œil dans la pile du Service Presse – des ouvrages reçus gratuitement pour que les professionnel·les puissent les lire et mieux les vendre auprès du public. Ces ouvrages n’étaient pas destinés à être revendus, mais l’équipe de The Witch’s Lair n’était pas très regardante sur la destination finale de ces livres. Jo choisit un exemplaire de Rituels de sorcellerie et le glissa dans la commande de Sarah. C’était un livre clairement destiné au grand public, rien à voir avec la collection réservée à la communauté sorcière en arrière boutique. Un petit cadeau pour la nouvelle année, avec un peu de retard…

Puis Jo passa à la commande suivante. Prise dans son travail, elle ne fit pas attention à la clochette tintant à l’entrée de la librairie.

*Toudim*

Sarah, allongée sur son lit dans un état léthargique, se réveilla en sursaut au son de la notification de son téléphone. Immédiatement, et malgré son esprit embrumé, elle eut une singulière envie d’envoyer valser l’appareil à travers la chambre, histoire de vérifier s’il sonnerait toujours aussi bien après avoir fait la connaissance du mur. La jeune femme était malade depuis deux jours – un de ces bons vieux rhumes qui donnent la migraine – n’avait pas pu fermer l’œil de la nuit et venait tout juste de trouver le sommeil… une poignée de secondes avant ?

Elle pesta et consulta le message reçu : « The Witch’s Lair a le plaisir de vous informer que votre commande est arrivée. Vous pouv[...] ».
Nul besoin de lire la suite, elle connaissait les horaires d’ouverture par cœur. L’après-midi n’étant pas encore très avancée, Sarah se leva, s’habilla chaudement, passa un long manteau couleur crème et une lourde écharpe de laine rosée, prit son sac à main et quitta sa chambre.
Depuis le pallier – la chambre étant située à l’étage du repaire Hawthorne – et malgré son nez irrémédiablement bouché, elle sentait encore l’odeur de la raclette du midi, qui lui donnait la nausée. Tant de lourdeur et quel manque de raffinement dans ces plats d’Hiver.
Arrivée dans le hall d’entrée, elle leva les yeux vers un immense tableau représentant un de ses ancêtres, fier, dans la force de l’âge. Lui ne mangeait sûrement pas de raclette, pas étonnant que les Chausseurs soient devenus si lourdauds au fil du temps.

Dehors, les rayons du soleil apportaient un peu de chaleur, mais le vent promenait ses ondes glacées dans les rues de Salem. Sarah pressa le pas. Elle ne voulait pas risquer d’empirer son cas, et il lui tardait de récupérer sa commande. Elle prévoyait un programme simple, efficace et agréable pour la fin de journée : lit-lecture-infusion-chocolat. Avec éclats de caramel.

Bientôt, Salem’s Neck fut loin derrière elle et après quelques minutes de marche dans Salem Centre, elle atteignit la devanture de la librairie. La clochette tinta lorsqu’elle entra. Un bruit délicat qui pourtant semblait tonitruant dans la boutique silencieuse. Comme à son habitude, elle jeta un œil au présentoir des derniers arrivages et auteurs à la mode, puis se dirigea vers l’accueil où elle espérait trouver la libraire, Joséphine Wardwell.
Effectivement, elle y était, si absorbée par son travail qu’elle n’avait visiblement ni entendu ni vu Sarah arriver.

« Bonjour Joséphine, cobbent allez-vous ? Il paraît que ba cobbande est arrivée aujourd’hui, est-il possible de la récupérer ? »

Maudit soit le nez.