Pancarte “closed” toujours sur la devanture de la boutique de fleurs, l’arrivée plus tôt que prévue pour aider un peu plus. Une nuit longue, pas beaucoup de sommeil. Mais c’est habituel chez toi. Rien d’alarmant en soi. La veste déposée à l’arrière de la boutique avant de découvrir sur le comptoir ton habituelle tasse de thé offerte par la propriétaire des lieux. Mince sourire au coin des lèvres alors qu’elle est toute chaude, encore fumante. Soit elle est présente, soit c’est cette petite tasse de thé magique, faisant en sorte que la boisson chaude à l’intérieur de cette dernière ne refroidisse jamais. Pari mis sur la tasse de thé magique, aucune émotion dans les environs des murs enfermant le doux arôme floral des diverses compositions. Tu prends le temps de te poser derrière le comptoir, les lumières encore éteintes, pour profiter de la boisson chaude infusée comme tu l’aimes, la touche de miel en plus. C’est qu’elle commence à trop bien te connaître la demoiselle. Et si cela ferait peur à beaucoup de personnes, tu vois uniquement cela comme une douce attention de sa part, ce qui te fait chaud au cœur. Le regard perdu sur les diverses décorations, les petits papiers - plutôt semblables à des post-its colorés - soigneusement annotés de diverses commandes pour la journée de sa fine écriture. Il va y avoir du travail avec cette rentrée. Tu soupçonnes certaines commandes pour des maîtresses, pour des enseignantes afin de les remercier pour la première partie de l’année scolaire. Tu soupçonnes d’autres commandes pour des naissances, des mariages ou encore des anniversaires. Tasse non terminée, tu sais qu’elle ne refroidira pas de toute manière, tu attrapes l’un des post-it, celui teinté de lilas pour lire plus attentivement la commande. Elle doit être prête pour l’ouverture de la boutique. Personne visiblement pressée par le temps ou ayant un emploi du temps chargé. Première commande que tu décides alors de préparer, laissant ta tasse sur le comptoir, la petite cuillère dedans.

Tu sais - parce que c’est comme cela que vous travaillez de toute manière - qu’elle jettera de toute manière un dernier œil dessus et c’est elle qui décidera si la commande peut être donnée ou non. Post-it coloré posé sur le plan de travail, maintenu grâce à un petit bout de scotch, tu commences alors à enfiler tes gants - parce que ce ne serait pas la première fois que tu te piquerais avec une ronce de rose ou une connerie du genre - pour commencer la composition, dans le calme de la pénombre environnante, dans la sérénité du silence qui te va si bien. Un bruit, un tout petit son retentit alors dans la boutique principale t’arrêtant dans ton élan. Les sourcils froncés, un coup d'œil à ta montre, il est encore bien tôt pour que ce soit Elli, mais elle est la seule - en dehors de toi - à avoir la clé de son commerce. Une petite inspiration, sereine sans vraiment l’être. Les fleurs déposées avec délicatesse et certaine forme de respect. Les gants retirés en silence, déposés sur le côté avant de t’approcher de la porte, tout aussi discrètement que ta démarche habituelle. Tu penches la tête sur le côté, dans l’encadrement de la porte avant de passer ce dernier avec une certaine lenteur.

“Elli ?”

Codage par Magma.

La frayeur, elle n’est que de courte durée lorsque tu te rends compte que ce n’est rien de bien menaçant et encore moins ta jeune protégée bien que patronne qui fait ce vacarme pas possible. Lyra qui se trémousse l’arrière train en tentant de trouver la meilleure position pour taper son sommeil matinal. Un souffle s’échappe de tes narines alors que tu t’approches en douceur de la créature poilue qui se retourne sur le dos te voyant approcher. Son regard grand ouvert, ses pupilles se dilatent. Ta main s’approche de son pelage et c’est déjà trop tard pour faire marche arrière. Si Lyra se laisse gratouiller le bide pendant quelques courtes secondes, elle a vite fait d’attraper ton poignet de ses pattes avant, d’approcher ta main de sa gueule pour te lécher la peau de sa langue légèrement râpeuse. Tu te fais avoir. Elle te niaque la main, fait en sorte que cette dernière ne s’en aille pas mais te repousse le coude de ses pattes arrière. Elle ne mord pas vraiment. Elle joue avec toi. Elle te montre son affection, l’affection de sa propriétaire en même temps. T’en ricanes. Un peu. Légèrement. Puis elle te lâche dans un miaulement que tu ne saurais identifier. Ignorance s’il s’agit de contentement ou de frustration parce qu’elle a décidé elle-même de te lâcher la grappe. Tu prends le risque de te faire attaquer de nouveau en passant ta main dans son pelage. Elle dandine ses royales fesses de chat vers le comptoir pour t’inciter à la suivre et se pose telle un pacha sur le bois, proche de ta tasse.

“Oui, je sais, il faut que je finisse ma tasse ma belle.”

Tu ricanes à nouveau avant de te poser contre le comptoir, tasse en main. Le lierre, la plante grimpante. Elle te fait sourire. Chaque tasse est accompagnée d’une plante. D’une fleur. Toujours différentes, les fleurs. Les significations connues, tu en souris bien souvent. Elle fait passer ses messages comme ça. Par les fleurs. Que ce soit ses joies, ses peines, ses tristesses. Surtout ses joies, ses sentiments positifs. T’as appris, avec le temps, à décoder ses émotions, à gratter contre ses barrières. Tu as appris à utiliser son regard pour savoir ce qu’elle avait sur le cœur qu’elle ne voulait pas prononcer. uniquement les émotions, non pas des raisons de ses émotions. La porte s’ouvre, le regard se redresse sur l’ouverture qui laisse entrer une légère brise fraîche. Sa chevelure brunette, son sourire dont tu as l’habitude et sa petite remarque. Tu es bien matinal aujourd’hui. Sourire coupable qui vient étirer tes lèvres alors que tu contournes le meuble en bois pour t’approcher. Baiser rapide, baiser volé contre ta joue alors qu’elle te met un sachet en papier sous le nez, sachet sentant les pâtisseries encore chaudes, sortant du four. Sert toi, ils sont encore chaud. Tu récupères le sachet en la laissant faire sa petite vie. Elle a sans doute remarqué la petite lumière dans l’atelier. Tu as déjà commencé à travailler. T’aurais pu profiter pour boire ton thé tranquillement. Parler à vive allure, pour ne pas te laisser le temps de la questionner. Elle est le lièvre, tu es la torture. Tu la questionneras en temps voulu sur sa présence aussi matinale que la tienne. Vous avez encore le temps. Tu déposes le sachet sous son nez à elle. Qu’elle se serve la première. Tu prendras après elle. Tasse prise entre les doigts, tu humes légèrement l’odeur encore bien présente. Tu en bois une gorgée ou deux, laissant le liquide chaud réchauffer ton vieux corps ayant bouffé la brise froide dans la tronche.

“Sers toi, ils sont encore chaud.”

Que tu souffles en souriant, en ricanant tout en laissant ta main pousser le sachet de viennoiseries vers la demoiselle qui tient ces lieux à l’ambiance particulièrement calme, apaisante.

“Tu sais que je pourrais te retourner la remarque, tu es bien matinale toi aussi. Tu veux un thé ?”

Pour que la pilule, la question passe plus facilement, tu lui proposes une petite tasse de boisson chaude. Thé, mais tu sais que vous avez aussi chocolat chaud et café si elle ne souhaite pas un thé. Ta voix est douce, toujours aussi râpeuse, toujours aussi cassée. Elle l’a toujours été et cela ne t’a jamais dérangé. Ta question, elle est teinté d’une certaine inquiétude. Tu sais qu’elle dort comme elle le peut, et parfois - pour ne pas dire bien souvent - assez mal. T’es inquiet. Comme un père le serait pour sa fille. Et l’on ne parle pas de ton étiquette collée sur le front vis à vis du Couvent mais bien de cette relation qui vous unis tous les deux. Plus qu’un formateur, qu’un protecteur et qu’un employé. Plus qu’une patronne et qu’une apprentie, qu’une protégée. Boisson chaude - si tenté qu’elle en veuille une - préparée, tasse posée devant elle, ton thé refait, infusé comme elle a l’habitude de te le faire, parce qu’elle sait que tu le bois d’une certaine manière.

“J’ai simplement commencé la première commande de la journée, celle pour l’ouverture.”

Que l’on ne vienne pas vous dire que vous êtes des tire au flanc ou des retardataires. Toujours - ou presque - dans les temps. Commande d’un bouquet de fleurs, quelque chose de spécial. Tu ne manges que rarement le matin mais là, l’odeur et la présence de ta petite Elli t’incitent à piquer, chaparder une petite viennoiserie sans aucun remord. On sautera le petit déjeuner un autre jour. Croissant entre les dents, le regard de suricate perturbé au visage, arrêt sur image sur la demoiselle alors que Syrinx pointe le bout de son nez de l’arrière boutique, le pas lent, les patounes légèrement engourdies. Lui, il a fait sa sieste syndicale du matin. Quel pantouflard ce renard. Il s’approche de Lyra pour venir lui lécher le haut de la tête, juste entre les oreilles. Le long soupir par les narines qui s’échappe par inadvertance alors que tu croques enfin dans ton croissant pour avaler cette bouchée et libérer ainsi ta parole.

“Donc, bien matinale patronne n’est-ce pas ?”

Codage par Magma.

Evidemment que tu retournes ses mots contre elle. Tu ne serais pas toi, tu ne serais pas le pire des meilleurs employés si tu ne te prenais pas au jeu de retourner ses paroles contre elle. Vos animaux totems, ils font leur vie, si bien que l’on pourrait croire que Syrinx en pince pour Lyra, alors qu’il agit simplement de la même manière que toi avec Elli, comme un père pour l’animal. Patronne. Mot appuyé, mot soufflé à demi voix, le regard posé sur elle avec un sourire faussement innocent. Prénom et nom. Rare sont les fois où tu l’entends, et généralement c’est pour t’engueuler, sans vraiment t’engueuler. Elle ronchonne sans vraiment râler. Du Elli tout cracher. Elle répond enfin, après avoir daigné t'accompagner dans ce petit déjeuner léger mais savoureux. Pas beaucoup dormi. Le sourcil qui s’arque. Une demande silencieuse de précisions. Rien de grave. C’est une moue peu convaincue qui s’empare de ton visage. Cela arrive souvent tu le sais. Elle sourit et tu abdiques momentanément. Le regard baissé sur la tasse chaude, mince sourire amusé aux lèvres, amusé de la voir se défendre, tenter de te rassurer, de se rassurer elle-même. Sa main tremble, du coin de l’oeil, tu le remarques sans pour autant en faire une remarque, elle parlera d’elle-même, tu la connais ta petite Williams. Tu sais ce que c’est. Les nuits courtes. Les nuits agitées. Tu en as eu, toi aussi, plus jeune. Véritable calvaire durant ta vingtaine, parce que tout le monde - penses-tu - passe par ce genre de phase où Morphée boude pour préférer s’occuper de son petit monde, des enfants qui doivent bien dormir, faire de beaux rêves. Tu sais que ta mère a eu cette phase, que ton père aussi. Tu imagines aisément qu’Abby, elle aussi, a eu une longue période avec des nuits pas terribles - et tu ne parles pas de ses nuits de jeune maman. Tu le vois avec certains membres du Couvent. Tu veilles certains et certaines, jusque tard, pour t’assurer qu’ils dorment bien, les rassurer. Tu as une présence rassurante. Il ne faut pas t’inquiéter. C’est mal te connaître. Ou trop bien te connaître que de vouloir te rassurer de la sorte, avec sa douceur. Le baiser sur ta joue, tu ne le vois pas venir, tu sais qu’elle a cette habitude, mais c’est toujours inattendu. Laissée faire, sourire étirant un peu plus les lèvres, laissant la teinte d’amusement inquiet derrière toi pour un sourire plus tendre, plus amusé comme un enfant. Alors cette commande d’ouverture. Ah. Le voilà. Le célèbre. Le tant attendu. Le changement de sujet. Mais il faut avouer que si elle ne l’avait pas fait, tu l’aurais fait de ton côté. Ne pas la mettre trop dans l’embarras, ne pas trop t’inquiéter, et faire avancer tout le petit monde du Williams Garden.

“J’ai dépassé le stade d’apprenti je pense, mais un coup d’oeil de ta part en sera pas de refus.”

Tu sais ce que tu fais mais loin de toi l’envie de foirer le tout parce que tu auras eu un moment d’égarement, un moment de maladresse. Tasse de thé portée à tes lèvres alors qu’elle saute sur l’occasion sur silence léger imposé par sa pause, par ton thé glissant entre tes lèvres. Elle y pense. Tu fronces les sourcils. Elle est pleine de surprises ta petite Elli, tu ne sais jamais vraiment ce à quoi elle pense. Cela se saurait si tu étais un télépathe. Si vous finissez de travailler assez tôt, peut-être aller manger un morceau dehors ce soir. Elle a envie d’un restaurant depuis un moment. Elle est mignonne. Elle sait aussi que les endroits bondés de monde ne sont pas ta tasse de thé. Pour cela que tu fuis comme la peste les centres commerciaux, les supérettes aux heures de pointe. T’es vieux. T’aimes pas le trop plein de monde. Trop plein de bruit. Trop plein d’émotions. Véritable déferlante incontrôlée de la part des enfants principalement. Mais pour elle, tu fais l’effort. Toujours. Mille fois l’effort de sortir de ta tanière de vieil ours renfermé, de vieux grand-père cookie qui se préserve. De quoi ? Personne ne sait. Pas même toi. Mine de réflexion alors que tu poses tes coudes sur le comptoir, te penchant légèrement en avant.

“Alors dans ce cas, puisque c’est ton idée, tu choisis le restaurant qui te fait envie.”

Terrible pour prendre des décisions. As de la décision de dernière minute. Professionnel de la longue réflexion pour le bien des autres. Mais choisir un restaurant, un glacier, t’en es incapable. Un enfer sur terre. Jeu du “ton idée, tu choisis”. Comme ça, on évite une attente de trente plombes devant les divers restaurants de la ville, pour au final lâcher un “j’en sais rien, je mange de tout, choisis toi, qu’est-ce qui te fait envie”. Éternel indécis pour les choses simples de la vie. Tasse reposée, Syrinx qui continue ses léchouilles sur le crâne de Lyra avant de l’enrouler dans sa queue rousse, le bout blanc venant se poser sur le museau de l’animal le plus ingrat mais le plus aimé des êtres humains.

“Eh beh, y’en a qui s’en font pas.”

Que tu commentes, pensant avoir dit cela moins fort. Mais non. C’est sorti peut-être même plus fort que la totalité de votre conversation. Renard qui redresse la tête vers toi, sourire malicieux, taquin qui étire tes lippes, s’il pouvait parler, il te lâcherait son plus beau “meh” avant de reprendre ses manœuvres d'emmitouflage du chat.

“J’dois y comprendre quelque chose, la boule de poil ?”

Nouveau regard, teinté de malice et de dédain à la fois. Il passe trop de temps avec Son Altesse Charénissime Lyra. Il commence à virer hautain, ton renard, si malicieux en temps normal. Ou alors c’est juste toi qui te fais des idées. Un soupir amusé s’échappe de tes lèvres alors que tu reportes ton regard, ton attention sur la demoiselle en face de toi.

“Va pour le restaurant. Tu choisis. Tu sais que je ne suis pas difficile, tant que je peux éviter les fruits de mer. Je doute que t’ai envie de finir aux urgences !”

Ce serait bien, en effet, d’éviter que ce genre de connerie t’arrive. Tasse terminée, tu la reposes dans son petit coin, toujours le même. Petit vieux aux habitudes bien rodées qui ne dit pourtant pas non à un brin de folie de temps en temps, a un brin d’aventure qui te tomberait sur le coin de la gueule. Même si, tu te passerais bien du genre d’aventure “panne de courant supplément rat carbonisé”. T’en as encore des visions d’horreur, malgré ton âge, malgré ta capacité à relativiser, à passer outre beaucoup de choses. Cela reste. Imprégné dans ta rétine. Cela aurait pu être n’importe qui. Cela aurait pu être Elli ou Abigail et rien que cette pensée te fait froid dans le dos.

Codage par Magma.